Le discours du président était une pure invention. Il n’y a pas de complot pour changer la démographie de la Tunisie. Les Africains noirs ne représentent qu’une infime partie de la population et ne sont pour la plupart que de passage. S’ils s’attardent, c’est tout simplement parce qu’ils économisent en vue de la périlleuse traversée de la Méditerranée.
Avant le discours, M. Saied était impopulaire, en raison d’une économie désastreuse. Après le discours, il semble avoir gagné plus de soutien. Les sondages ne sont pas fiables, mais l’un d’entre eux, réalisé en novembre, lui accordait moins de 30 % de soutien ; un autre, réalisé en juin, indiquait que 69 % des sondés voteraient pour lui.
En promettant de protéger les Tunisiens d’une menace fantôme, il les a ralliés à sa cause. Il a également détourné la responsabilité des maux du pays. Les économistes pensent que l’inflation en Tunisie est en grande partie due au gouvernement, mais Mustafa, de Sfax, accuse les Noirs qui, selon lui, font monter les prix en mangeant tout le pain. Il prévoit de voter pour M. Saied lors des prochaines élections.
L’incitation à la haine du président a également détourné l’attention d’autres actions controversées qu’il a entreprises, telles que le musellement de la presse, la purge du système judiciaire et la fermeture de l’organisme national de surveillance de la corruption. Il a démantelé les mécanismes de contrôle et d’équilibre qui favorisent une bonne gouvernance, avec des résultats prévisibles. La Tunisie est devenue plus craintive, moins libre et plus corrompue. Son score à l’indice de perception de la corruption (IPC) établi par Transparency International, un organisme de surveillance, s’est considérablement dégradé depuis 2021, date à laquelle M. Saied a commencé à démanteler sa jeune démocratie pleine d’espoir.
La Tunisie reflète une tendance mondiale : de plus en plus de dirigeants utilisent le nationalisme comme un outil pour accumuler du pouvoir – et pour en abuser. Alors que le nationalisme était autrefois un moyen de démanteler des empires coloniaux déplorables, il devient de plus en plus un moyen de supprimer les contraintes légitimes qui pèsent sur le pouvoir gouvernemental. Les dirigeants qui s’irritent des contre-pouvoirs ont besoin d’un prétexte pour les supprimer. Ils ne peuvent pas admettre qu’ils veulent museler la presse et purger les tribunaux parce qu’ils trouvent ennuyeux de suivre les règles et préfèrent gouverner sans entraves. Ils accusent donc les journalistes et les juges d’être des traîtres ou des agents de puissances étrangères.
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The Economist via fdesouche